Pourquoi Zénon n’a pas été compris par Bergson et Deleuze

Tentative de résolution
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Version 2 du 15.8.2024


Bergson, philosophe français du XIXe et du début du XXe siècle, a critiqué les paradoxes de Zénon et l’utilisation du calcul infinitésimal pour les résoudre en soulignant que ces approches fragmentent de manière erronée la réalité du mouvement et du temps.


Cette position est également partagée par Gilles Deleuze, qui conteste l’idée de Zénon de diviser le mouvement en une série d’instants ou de positions fixes, affirmant que cela ne correspond pas à la nature continue du mouvement tel que nous le vivons. Pour Bergson, le mouvement réel n’est pas une simple succession de segments, mais un flux ininterrompu.


Je me retrouve dans leur critique, en particulier concernant la "dichotomie". En effet, le terme "dichotomie" semble mal choisi, car il laisse entendre que le mouvement serait morcelé, divisé en segments fixes, alors qu’il est en réalité continu. Pour moi, le paradoxe de Zénon ne concerne pas une division arbitraire ou abstraite, mais bien un passage physique nécessaire par des étapes pour accomplir le mouvement. Un passage n’est pas une division; c’est la nécessité de traverser des points physiques pour réaliser le mouvement.


C’est pourquoi, depuis 1998, j’ai renommé ce que Zénon appelait la dichotomie en "Parcours Éternel des Moitiés Restantes" (PE/MR), car selon moi, cette appellation est plus juste. Le PE/MR met en évidence la réalité tangible des zones intermédiaires qu’il est indispensable de franchir pour aller d’un point à un autre. Il s’agit d’espaces de moitiés restantes à traverser, ce qui n’a rien à voir avec une segmentation du mouvement, comme le laisse faussement entendre la dichotomie. Le PE/MR réconcilie ainsi la critique de Bergson avec la pensée de Zénon en créant un pont, montrant que pour traverser un segment entre "A" et "C", il faut passer par "B". Cela ne requiert aucune division qui suggérerait que le mouvement est granulaire plutôt que fluide. En réorientant le paradoxe vers un itinéraire concret plutôt qu’une abstraction divisée, cette approche permet de comprendre la continuité du mouvement.


Les paradoxes de Zénon un faux problème : 


Contrairement à moi, Bergson et Deleuze estiment que le paradoxe de la dichotomie de Zénon peut être résolu, mais ils considèrent que la solution ne réside pas dans une approche mathématique classique, comme celle du calcul infinitésimal. Pour eux, le paradoxe n’existe que si l’on accepte l'idée erronée que le mouvement est composé d'une série d'instants ou de segments discrets.


Bergson pense que le paradoxe de Zénon repose sur une conception fausse du temps et du mouvement, les voyant comme une succession de points fixes. Il considère que le mouvement est un flux continu, et que diviser ce flux en segments, comme le fait Zénon, est une erreur. En comprenant le mouvement comme une continuité indivisible, le paradoxe disparaît.


Deleuze, influencé par Bergson, partage cette idée. Il pense que le paradoxe de la dichotomie découle d’une mauvaise compréhension du mouvement, et que Zénon se trompe en considérant celui-ci comme une série de divisions infinies. Ils proposent de voir le mouvement non pas comme une série d’étapes discrètes, mais comme un devenir continu, échappant ainsi à la logique du paradoxe.


Donc, pour Bergson et Deleuze, le paradoxe de la dichotomie est résolu en reconnaissant que le mouvement est fondamentalement continu et ne peut être divisé en points fixes. Ils considèrent que le problème posé par Zénon est dû à une confusion conceptuelle plutôt qu’à une véritable impossibilité de comprendre le mouvement.


Mais si on considère le PE/MR le paradoxe subsiste : 


Toutefois, dans la perspective du “Parcours Éternel des Moitiés Restantes” (PE/MR), il n’y a aucune division du mouvement, et cela ne s’oppose pas non plus à l’idée que le mouvement reste parfaitement continu.


Si l’on affirme que seul le mouvement est réel et continu, alors il faut reconnaître une progression fluide à travers les moitiés restantes, qui sont effectivement infinies. La question soulevée par Zénon reste donc entière : comment peut-on achever un tel parcours ?


Le PE/MR renoue ainsi avec l’idée véritable de Zénon, qui cherchait simplement à démontrer qu’il est impossible de traverser un espace entre “A” et “C” sans passer par un point intermédiaire “B”. Zénon n’a jamais suggéré que le mouvement s’arrêtait à chaque étape; son paradoxe repose sur une progression continue à travers le PE/MR. Le problème n’est donc pas de savoir si le mouvement est fluide ou segmenté, comme le soutiennent Bergson et Deleuze, mais bien de comprendre comment un parcours à travers une infinité de moitiés restantes peut être achevé.


Zénon n’a jamais nié le mouvement; il voulait montrer qu’il est nécessaire de passer par une infinité de moitiés restantes pour atteindre un point final. Cela est possible précisément parce que le mouvement est continu et ininterrompu. Pourtant, cette continuité pose une question troublante : comment peut-on concrètement terminer un parcours infini ?


Considérer le problème de Zénon sous l’angle du PE/MR change radicalement la nature du paradoxe. Il ne s’agit plus d’une simple division théorique, mais d’un processus physique qui nécessite une progression à travers chaque moitié restante, comme un voyageur traversant différentes étapes d’un long périple. Chaque moitié restante doit être parcourue, une à une, de la manière suivante : 1/2 + 1/4 + 1/8 + 1/16… à l’infini. Mais comment un tel parcours peut-il s’achever si le nombre d’étapes est infini ? Tourner une page supplémentaire dans un livre infini ne fait qu’ajouter une page à un nombre fini de pages lues. Il en va de même avec l’addition des moitiés restantes dans le PE/MR.


Il est essentiel de préciser que, bien que le PE/MR implique une infinité de moitiés restantes, cela n’exige en aucun cas que le parcours soit infiniment grand, ni en temps ni en espace. Le parcours peut être fini tout en nécessitant une traversée infinie de moitiés, ce qui rend le paradoxe d’autant plus fascinant.


Ainsi, que l’on aborde le problème de Zénon par une division ou par la réalisation d’un parcours continu à travers les moitiés restantes, le paradoxe persiste. Je suis convaincu que Zénon, s’il était en vie, approuverait cette interprétation : le PE/MR correspond bien plus à son paradoxe que le terme “dichotomie”, qui a conduit à une mauvaise compréhension de son argument.


Zénon n’a jamais nié la réalité du mouvement; il l’utilise pour démontrer qu’il est nécessaire de traverser une infinité d’étapes intermédiaires pour atteindre un but final. Les paradoxes de Zénon, qu’il s’agisse de la dichotomie ou d’Achille et la tortue, concernent des passages incontournables pour finir un parcours. Ce ne sont pas des points abstraits ou imaginaires comme l’ont supposé certains philosophes. Au contraire, ces étapes rendent le mouvement continu et possible. Les paradoxes persistent précisément parce que le mouvement est continu, mais qu’il semble paradoxalement s’achever malgré l’impossibilité apparente du PE/MR. Cela soulève des questions profondes sur la nature de la réalité et la fiabilité de nos perceptions.


Peut-on faire confiance à notre perception du monde, et si oui, comment réconcilier la logique du PE/MR avec notre expérience sensorielle ? Répondre à ces questions est essentiel pour espérer résoudre un jour les paradoxes de Zénon.


Olivier Dusong 



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